Lorsque nous rentrons à l’Institut, je trace directement dans la salle d’armes sans accorder un regard à Aaron. Je range mes armes le plus rapidement possible, en commençant par mon poignard séraphique. Plus vite je peux m’enfermer dans ma chambre, mieux c’est. Tout ce que je veux, c’est m’enfouir sous ma couette et ne jamais en ressortir.

Une vague de culpabilité me frappe et je me plie en deux, la tête entre les mains, les ongles enfoncés dans mon crâne et le visage crispé. Des images de la mission de ce soir défilent derrière mes yeux fermés. Je tente de les chasser car je n’ai ni envie, ni besoin d’un récapitulatif de toutes mes erreurs pour l’instant.

Pour me distraire, je sors le reste des mes couteaux de ma ceinture et les remets à leur place. J’essaye de me dépêcher comme j’entends des pas venir dans ma direction mais mes doigts tremblants ne m’aident pas trop. Lorsque je suis sur le point de reposer le dernier couteau, je ressens une douleur et lâche ma lame au sol. Je regarde ma main qui se remplit rapidement de sang rouge et tiède. Quel imbécile! Je ne suis même pas fichu de ranger mes affaires correctement. Il n’y aura vraiment pas un seul truc que je n’aurai pas raté ce soir!

Les bruits de pas se font de plus en plus fort alors je me baisse pour ramasser mon arme. Je ne la vois pas tout de suite et j’en déduis qu’elle a glissé sous un meuble. Je suis tenté de la laisser là où elle est et de me réfugier dans le confort de mon lit. Malheureusement, je sais que si je fais cela, je l’oublierai lors de ma prochaine patrouille surtout si je suis en retard et que j'aurai donc une arme de moins pour me défendre. Et je sais aussi que même un simple couteau peut faire la différence entre la vie et la mort en bataille.

Un sentiment de malaise m’envahit soudain mais je chasse. Je localise le couteau perdu sous une armoire avec un soupir d’exaspération et y glisse ma main valide pour le récupérer. Il ressort couvert de poussière. Beurk! Je suis prêt à parier que personne n’a fait le ménage là dessous depuis la construction de l’Institut. J’essuie la lame avec ma manche et la repose enfin à son juste emplacement. Elle rejoint ses camarades avec un joyeux cling métallique qui brise le silence. C’est là que réalise enfin d’où venait ce malaise et je n’ose pas me retourner, paralysé. Les bruits de pas ont disparu.

Je n'ose pas me retourner, mais je sais qu'il est là. Aaron. Mon parabatai. Je l'imagine sur le pas de la porte en train de me regarder avec son petit sourire amusé. Je suppose qu'il m'a vu ramasser ce stupide couteau.

Je l'entends dire "Hey Timmy, alors comme ça, on fuit son parabro favori?"

Je le fixe un instant sans rien dire. Je sens le rouge me monter aux joues. J'ai honte de mon comportement lors de cette mission. Je ne me suis même pas reconnu. J'ai pris toutes les mauvaises décisions, j'ai agi de manière complètement impulsive ce qui ne me ressemble pas du tout. Aaron a bien dû me sauver la mise une bonne douzaine de fois alors que, no offence, mais c'est mon job d'habitude.

Je tente de parler mais ma gorge se serre. Je ne sais même pas quoi lui dire... J'ai envie de me retourner et fuir mais je ne pourrais pas faire l'autruche éternellement et puis je vois dans ses yeux qu'il attend une réponse. J’ai envie de dire que je ne sais pas ce qui m'a pris, mais la vérité c’est que je le sais très bien. Cela fait des semaines que j'empile mes émotions et que je les met de côté pour pouvoir aider les autres. Parce que c'est mon job. Tout simplement. En tant que Shadowhunter et en tant qu'ami. C'est comme cela que je fonctionne et la satisfaction que je tire du fait d'aider les gens, je l'utilise pour soigner mes propres blessures, comme un pansement psychique.

Mais depuis la mort de Jo, cette méthode ne marche plus.  De la même manière qu'un petit pansement Princesse Disney ne peut pas arrêter une hémorragie. Le problème, c'est que je ne sais pas comment faire autrement. Je ne connais pas d'autre manière de gérer ma peine.

Je baisse les yeux vers le sol. Je sais que je devrais, que j'aurais dû demander de l'aide à mes proches, de la même manière que je leur propose la mienne sauf que je ne peux pas. Aaron était son frère, Nick son père et ma mère sa belle-mère. Tandis que moi, je suis juste le pote de son frère. Je suis sûr qu'ils sont tous bien plus affectés par son décès que je ne l'ai été. C'est pour cela que je ne peux pas leur demander. Mais je ne connais personne d'autre. Sauf que je n'ai plus le choix maintenant. Je réalise que mon silence est précisément la chose qui m'a fait déconner et que je dois accepter les conséquences de mon erreur. Je dois me mettre à parler. Quitte à souffrir et à faire souffrir ceux autour de moi. Mais je ne veux pas les faire souffrir. Argh! Pourquoi c’est si dur?

J'essuie mes mains moites sur mon pantalon de combat. Je prends une inspiration tremblante et je lève la tête pour croiser à nouveau le regard de mon parabatai.

“Hey” je lui réponds avec un petit sourire forcé.